Cartographie

En parallèle, Picard participe à la réforme de la carte de France, ordonnée par Louis XIV et Colbert, dont les ambitions concernent la marine française et les côtes de France à défendre, d'une part, et l'état d'imprécision de la géographie du pays, d'autre part. Il présente à l’Académie en 1681 « un projet pour faire un châssis géographique pour toute la France… présenté à Monseigneur Colbert »[1]. Ce châssis se compose d’une chaîne de triangles.

Le travail de Picard aboutit à la création de la Carte des environs de Paris en 9 feuilles (1678), qui inaugure une échelle, 1/86 000e qui sera celle de la grande carte de Cassini[2]. Elle est la première carte "régulière" d'une aussi grande étendue (d'ouest en est, elle va de Mantes à La Ferté sous Jouarre) à s'appuyer sur une triangulation d'ensemble qui sert aussi à positionner, sur la carte, les éléments caractéristiques du paysage (sites, bourgs, collines...).

Le travail de Picard aboutit aussi à la Carte de France corrigée par ordre du Roy, présentée à l’Académie en 1682 et publiée en 1693. Cette carte, dont la particularité est d’utiliser pour la première fois le méridien de Paris comme méridien d’origine, a pour objectif d’être meilleure que celle précédemment réalisée par Nicolas Sanson (1600-1667), le cartographe de cabinet du Roi-Soleil, datant de 1638[3].

Extrait des Observations faites par Picard et La Hire sur les côtes de France, décembre 1679-19 novembre 1681, copiées par Delisle | Bibliothèque de l'Observatoire de Paris, D 1/22

 

Pour mener à bien cette entreprise, Picard et La Hire réalisent plusieurs campagnes, entre 1676 et 1681, afin de déterminer la longitude de différents ports de la côte ouest de la France. Pour ce faire, ils utilisent la méthode des éclipses des satellites de Jupiter dont Cassini I a étudié le mouvement afin de prévoir les éclipses. La comparaison de l’instant d’observation de ces éclipses avec ceux indiqués par les éphémérides et calculés pour la longitude de Paris donne immédiatement la différence de longitude et donc la longitude du lieu où l’observation a été faite. Le méridien de Paris sert en effet de méridien de référence.

Cassini donne des instructions pour l’observation des immersions et émersions du premier[4] satellite de Jupiter et pour les préparatifs à faire la veille de ces observations.

Instruction générale pour les observations géographiques à faire dans les voyages, Cassini I | Bibliothèque de l'Observatoire de Paris, D 1/11 (A/9)

 

Les observations plus propres pour la détermination des longitudes sont les immersions et les émersions du premier satellite de Jupiter..., Cassini | Bibliothèque de l'Observatoire de Paris, D 1/11 (A/9)

 

A la suite du décès de Picard en 1682, La Hire achève seul la tâche, si bien que la carte gravée et publiée en 1693 est dite Carte de La Hire.

Carte de France corrigée par ordre du Roi sur les observations de Mrs de l'Académie des sciences, 1693

Carte de France corrigée par ordre du Roi sur les observations de Mrs de l'Académie des sciences, 1693 | Bibliothèque de l'Observatoire

La nouvelle carte de France fait apparaître le trait de côte rectifié par les académiciens, de retour de leurs observations astronomiques sur le terrain. Elle déplace Brest de 80 kilomètres vers l’est et réduit le territoire français de près de 20%. Fontenelle rapporte que « …le Roi eût sujet de dire en plaisantant, que leur voyage [c’est-à-dire les travaux des astronomes] ne lui avoit causé que de la perte »[5].

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[1] Procès-verbaux. T9 (18 novembre 1679-29 juin 1683, Registre de mathématique), Académie royale des sciences, 1667, fos 96 r. et 97 r.

[2] L'échelle adoptée est d'une ligne (unité de mesure de longueur conçue au Moyen Âge valant un pouce divisé par douze) pour cent toises, soit exactement une échelle de 1/86 400 (une toise vaut 864 lignes). La carte de Cassini est la première carte topographique et géométrique établie à l'échelle du royaume de France.

[3] Carte generale du royaume de France / nouvellement dressée par N. Sanson, Geo[gra]phe ord[inai]re du Roy..., https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55005086d, consulté le 27 février 2020.

[4] Le premier satellite de Jupiter tournant en 2 jours (contre 4, 8 et 16 jours pour les trois autres), on peut observer ses éclipses plus fréquemment.

[5] Bernard de FONTENELLE, Oeuvres de M. de Fontenelle,..., Paris, B. Brunet, 1742, p. 7.