Le rêve d’une histoire universelle de l’astronomie
Traversant l’Allemagne en direction de Saint-Pétersbourg, Delisle noue des relations avec plusieurs personnalités du monde savant germanique et parvient à acquérir de précieux documents, dont la correspondance de Johannes Hevelius. Il ne cesse dès lors de rassembler lettres et manuscrits d’auteurs illustres : Tycho Brahe, Kepler, La Hire et beaucoup d’autres. Mais son projet n’est pas celui d’un simple collectionneur. Il aime à rappeler que l’étude de l’histoire des sciences, « qui n’est qu’utile ou agréable dans quelques sciences, devient absolument nécessaire en astronomie ; puisque cette science n’est fondée que sur les observations de divers temps et de différents lieux, dont un astronome ne saurait faire usage qu’en distinguant exactement ces temps et ces lieux ; et recherchant avec soin le dessein dans lequel ces observations ont été faites et le degré de connaissance que l’on avait alors. » [1] Il accumule donc les notes biographiques sur les astronomes du passé, et entretient une abondante correspondance avec les chercheurs susceptibles de lui apporter des connaissances en ces matières. [2]
En recueillant cette masse de données, Delisle a bien l’intention, comme il l’explique dans la préface d'un fameux recueil de 1738, de « composer un traité complet d’Astronomie exposée historiquement, & démontrée par toutes les observations faites jusqu’à présent ». Mais la démesure d’une pareille ambition lui étant apparue, il s’avoue contraint de la revoir à la baisse : « […] j’ai compris à la fin […] que ce projet, dis-je, était au-dessus de mes forces, ou qu’au moins il était incertain si je pourrais l’achever seul. » Il opte donc pour une publication partielle, sous forme de « Mémoires particuliers », laissant à ses successeurs le soin d’ « en composer dans la suite une histoire et un traité complet de l’astronomie […]. » [3]
[1] Abrégé de l’histoire des observations astronomiques que j’avais préparé pour lire à l’assemblée publique de l’Académie de Petersbourg le 2 mars 1728, fonds Delisle (Observatoire de Paris), portefeuille A7/10, pièce 8.
[2] Conscient de la valeur de ces archives, Louis XV propose à Delisle de les acquérir, en échange d’une pension de 3000 livres et du titre d’astronome de la Marine. Elles sont conservées au dépôt de la Marine jusqu’en 1795, où le Comité de Salut public les transfère, pour leur partie astronomique, au Bureau des Longitudes, institution créée cette même année pour administrer l’Observatoire de Paris.
[3] Mémoires pour servir à l’histoire & au progrès de l’astronomie, de la géographie & de la physique. Il n’est du reste pas interdit de penser, toujours avec Nina I. Nevskaja, que les espoirs placés par Delisle en ses successeurs ne furent pas déçus : « En fait, écrit-elle, le travail commencé par Delisle a été mené à bien par ses élèves J.-J. Lalande (1732-1807) et N.-L. Lacaille (1713-1762) qui ont publié une série d'études sur l'histoire de l'astronomie. Deux élèves de Lalande, J.-S. Bailly (1736-1793) et J.-B. J. Delambre (1749-1822), ont poursuivi cette tradition. Les idées de Delisle concernant les motivations astronomiques dans la mythologie et les religions ont été développées dans les travaux d'un autre élève de Lalande, Ch.-F. Dupuis (1742-1809). Les études scientifico-historiques de François Arago (1786- 1853), élève de Delambre, sont très connues. Tous ces travaux sont dans la ligne de la tradition fondée par Delisle et utilisent largement les matériaux de sa collection. » (op. cit., p. 293-294)