Un peintre chez les géomètres

« Le plus léger prétexte lui suffisait pour étendre ses connaissances. »

 — Fontenelle, Éloge de M. de La Hire

 

Laurent de La Hyre, « Allégorie de la Géométrie », Huile sur toile, 104 × 218 cm, musée des Beaux-Arts de San Francisco.  

Philippe de La Hire naît à Paris en 1640. Fils aîné, il reçoit les leçons de dessin et de peinture de son père, Laurent de La Hyre [1](1606-1656), qui voit en lui son successeur. Son père est un artiste renommé, membre de l’Académie de peinture et de sculpture ; peintres, graveurs et mathématiciens fréquentent la maison familiale[2]. L’éducation de son fils comprend notamment la géométrie, la perspective, l’architecture, et l’art de tracer les cadrans solaires – la gnomonique[3].

Mais, à la mort de son père en 1656, la santé de La Hire se détériore[4]. Le voyage en Italie, très populaire parmi les artistes de l'époque, semble être un moyen de le guérir: il se rend à Rome, puis à Venise, en 1660[5]. Il y découvre les modèles antiques, pratique le dessin et perfectionne sa connaissance des mathématiques. Sa passion pour la géométrie l'amène à étudier l'oeuvre d'Apollonius, mathématicien et astronome grec du IIIe siècle réputé pour ses recherches sur les sections coniques.

Quatre ans plus tard, sa mère le priant de revenir de son voyage en Italie, il s’installe à Paris comme peintre. La Hire sera pourtant de plus en plus géomètre : il fréquente les milieux savants, et se lie avec Abraham Bosse (c. 1602-1676), graveur célèbre, membre de l’Académie de peinture, qui fut ami avec son père. Bosse, qui partage avec La Hire un double intérêt pour l’art et pour la science, l’initie à la Manière Universelle de M. Desargues pour pratiquer la perspective[6] de Girard Desargues (1591-1661), qu’utilisait déjà son père[7]. L’œuvre de Desargues – le fondateur de la géométrie projective – l’influencera profondément. 

Attribué à Philippe de La Hire, Maison adossée à l’abside d’une église, 13,1 x 20,2 cm, Paris, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts

Attribué à Philippe de La Hire, Maison adossée à l’abside d’une église, 13,1 x 20,2 cm, Paris, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts

Abraham Bosse le confronte à un problème de coupe des pierres : comment établir une règle sûre pour la construction d’un arc rampant – un arc qui prend sa naissance à deux hauteurs différentes ? C’est en combinant de manière ingénieuse les théorèmes d’Apollonius et la méthode de Desargues qu’il expose sa solution dans son premier opuscule, en 1672[8]. Suivront diverses publications de géométrie, qui feront parfois l’objet de mentions élogieuses dans le Journal des Sçavants[9]. A l’automne 1675, le bruit court que Philippe de La Hire serait en concurrence avec Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) pour l’admission à l’Académie Royale des Sciences.[10]

 


[1]  « l’orthographe diffère », comme le note Hélène Rousteau-Chambon dans son article rédigé à l’occasion des commémorations nationales (Hélène-Rousteau Chambon, Philippe de La Hire, in Le Livre des Commémorations nationales 2018, sous la direction d’Hervé Lemoine, Éditions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, Paris, 2018, pp. 89-90).

[2]  René Taton, « Philippe de La Hire », in Dictionary of scientific biography, 1973, vol. 7, p. 576.

[3]  Madeleine Pinault Sørensen, Biographie, op. cit., p.17.

[4]  Fontenelle, op. cit., p. 76.

[5]  Thierry Verdier, Les années romaines, 1660-1664. La naissance d’une culture scientifique, in Philippe de La Hire, 1640-1718 : entre architecture et sciences, op. cit., p. 27.

[6]  Girard Desargues et Abraham Bosse, Manière universelle de M. Desargues, pour pratiquer la perspective par petit-pied, comme le géométral, ensemble les places et proportions des fortes et foibles touches, teintes ou couleurs, par A. Bosse, 1648.

[7] René Taton, op. cit., p. 93.

[8]  Guy Picolet, « La Hire entre sciences et architecture : une chronologie », op. cit., p. 262.

[9]  Ibid.

[10]  Ibid.